Faire le premier pas pour aller en psychothérapie ne va pas toujours de soi. Qu’est-ce qui freine la prise de rendez-vous ? Sans vouloir être exhaustive, j’ai répertorié quelques freins observés dans ma clinique.
” Suis-je trop fou pour consulter “
J’entends souvent les patients se questionner sur leur “cas”. “Suis-je un cas facile ou difficile ?” “Désespéré ?” Qu’y a -t-il derrière ces questions ?
On cherche à se positionner. Comme s’il existait une échelle de la souffrance.
Il est naturel de vouloir se situer. Pour autant, si l’on en croit la théorie de la Gestalt-thérapie, chaque souffrance est subjective. Chacun a son histoire et ses ressources. La comparaison est plus complexe qu’il n’y parait. Vouloir se situer peut traduire une manière de minimiser ce que l’on traverse.
J’entends aussi derrière ces questions une invitation à tester ma capacité à accompagner.
C’est lors des premières séances que je prendrai le temps de sentir si je suis compétente pour travailler avec vous. Je ne suis ni toute puissante ni impuissante mais je me situe dans un entre deux, avec la tentative d’être le plus clairvoyante possible sur mes limites de compétence. Si je sens mon accompagnement insuffisant, je conseille un suivi avec un médecin en parallèle de la thérapie.
Si je sens que vous méritez un accompagnement avec un thérapeute qui vous convient mieux, je m’engage à vous en faire part.
” Je n’ai pas de demande claire “
C’est aussi un motif fréquent de frein pour aller en thérapie. J’ai souvenir d’une patiente que j’ai accompagné durant quelques mois. Sa première demande est devenue obsolète. Je sens bien quelque chose de souffrant mais c’est de l’ordre de l’indéfini, du brouillardeux, vague et confus. Je me permets de lui en faire part : « je ne sais pas vous dire précisément pourquoi, mais je sens que ce serait bien que l’on continue de se voir. Et que l’on avance comme cela pas-à-pas pour voir ».
Cette patiente s’était sentie entendue, au delà de ce qu’elle pouvait formuler. Quelle liberté de pouvoir tâtonner et que ce soit ok, dans un monde qui nous ordonne de tout savoir en avance.
” La thérapie c’est se concentrer sur ce qui est négatif “
Cette croyance est fortement répandue. Pourtant, travailler les ressources est fondamental dans un accompagnement, c’est même un pré-requis en cas de psycho-traumatisme. En termes de ressources, l’humain est créatif : humour, imaginaire, combattivité, espoir, …
Je rencontre des personnes qui ont perdu le lien avec leurs sensations ; elles sont comme anesthésiées. Le travail thérapeutique contribue à mobiliser les sensations du corps, et quand on mobilise le corps, la conscience des sensations désagréables augmente, mais les sensations agréables aussi ! La nature ne clive pas les sensations de plaisir et de déplaisir.
Il peut arriver que l’on s’enlise dans la plainte, la noirceur, l’impasse. C’est alors au thérapeute de prendre suffisamment de recul pour sentir et soutenir les micro mouvements de lumière, de légèreté, de cocace, de drôle ou d’émouvant.
” Je suis en deuil, le thérapeute ne pourra rien pour moi “
Il y a des douleurs de perte, de deuil, de séparation, qui sont des processus à traverser. Il existe des deuils difficiles. Ce qui les rend d’autant plus difficile, c’est souvent l’absence de soutien durant l’évènement.
Dans le suivi thérapeutique, le thérapeute prend le temps de sentir où le soutien a manqué. Afin de reprendre ce rôle d’étayage le temps de la thérapie.
On va alors aborder la douleur dans un intervalle tolérable. Sans la cacher sous le tapis, mais en s’ajustant pas-à-pas.
Le thérapeute va relancer se faisant la confiance du patient en l’autre, et l’aider à s’orienter vers des soutiens extérieurs, pour anticiper le futur.
” Personne ne peut m’aider “
Cette affirmation est forte de sens. Depuis quand le patient a cette croyance ? Sur quelles expériences cette affirmation s’est-elle forgée ?
Cela fait résonner en moi une impression d’isolement, de solitude. Une impossibilité d’être rejoint ou compris. Cette affirmation subjective a dû prendre sens à un moment de vie. La personne a perdu confiance en l’autre. La thérapie c’est parfois cela : un apprivoisement qui se transforme en confiance. C’est la foi que l’autre peut être un soutien sur lequel s’appuyer. Se relier. On fait cette expérience avec le thérapeute. Et un jour on peut faire confiance à une autre personne dans sa vie. Cela peut prendre du temps. Mais cela vaut le coup.
Ce qu’en disent les auteurs
« Dans ma pratique clinique j’ai vu et je vois les gens souffrir parce que leur évolution en tant que personne, leur contact avec l’environnement n’a pas été suffisamment nourri d’une manière ou d’une autre. Je les perçois seuls, voulant sortir de leur situation à travers un effort individuel et une autoresponsabilité injuste. Je les ai vus avoir honte d’être si faibles d’avoir besoin d’aide. J’ai envie de dire à ces personnes-là en paraphrasant Aristote que seuls les animaux et les dieux peuvent s’autosuffire. Ou comme disait Bob Merril : « les gens qui ont besoin de gens sont les plus chanceux du monde ».
Ximo Tarrega, de l’autosuffisance à l’interdépendance, 2009
« L’auto-soutien est différent de l’autosuffisance. Lorsque le patient termine sa thérapie, il n’aura pas perdu le besoin des autres personnes. Au contraire, il trouvera pour la première fois des satisfactions dans son contact avec les autres ».
Fritz Perls dans The Gestalt Approach de 1973